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4 décembre 2013

Nouvelles glisses (3) : En kayak sur la vague éternelle

Des remous de la Marne, à Joinville-le-Pont, aux flots tumultueux du Zambèze, les adeptes du « rodéo » adaptent à l'eau douce la culture et les figures du surf et du skateboard

« C'EST IMPOSSIBLE, il ne passera jamais ! » La promeneuse s'est arrêtée près du barrage, intriguée par l'attroupement qui scrute en contrebas un kayakiste essoufflé. « Franchissement interdit », indique un panneau rouge et blanc planté sur la berge. Mais l'homme casqué n'a pas dévalé le courant. Bien au contraire, il semble vouloir le remonter.Au pied de la cataracte, à la frontière entre l'eau lisse et le bouillonnement qui naît de son fracas, son esquif se maintient sur place, à grand renfort de coups de pagaie.

Mais voilà que le malheureux se met à tourner sur lui-même, à l'horizontale, puis à donner de furieux coups de reins, comme s'il tentait de décoller. Toujours scotché au pied du barrage, il fait ensuite plonger l'avant de son kayak râblé, semble boire la tasse, mais réapparaît, et exécute un nouveau tour sur lui-même, à la verticale, avant de décrocher, emporté par les flots moutonnants. Déjà, un nouveau candidat lui succède au creux de la vague, sous les vivats des spectateurs amassés sur la rive de la Marne, à Joinville-le-Pont (Seine-et-Marne).

La passante n'a pas assisté à une tentative désespérée, mais à une séance de « rodéo », aussi nommé kayak de « free style », une discipline encore confidentielle. Pratiquée en catimini depuis cinq ans à Joinville, et sur quelques rivières propices françaises, elle fait pourtant l'objet depuis sept ans de compétitions au niveau international. « Ce sont les Américains qui ont fait évoluer la discipline, indique Sébastien Tester, conseiller technique national à la Fédération française de canoë-kayak. Mais auparavant, nous faisions du free style sans le savoir.  » Tous les kayakistes en ont fait l'expérience : certaines cascades produisent des remous capables de les retenir immobiles, au creux d'une sorte de vague perpétuelle. Le principe du free style est simple : il s'agit d'enchaîner les figures, comme le font les surfeurs sur les vagues de l'océan. Par rapport à la rive, la vitesse est nulle, mais l'eau défile en fait très rapidement, ce qui donne tout son sel à l'exercice.

Chaque site recèle une vague différente. Certaines forment un rouleau, d'autres sont toutes lisses. « En Nouvelle-Zélande, lors des compétitions de 1999, il y en avait une qui permettait de faire des aerials », s'enthousiasme Sébastien Tester. L'aerial, qui consiste à faire décoller l'embarcation, est la figure reine du free style, celle qui peut rapporter le plus de points en compétition. A Joinville, la vague-rouleau n'est guère propice à ces envolées, mais sa puissance et sa vitesse de défilement (jusqu'à 20 km/h) la réservent aux kayakistes confirmés. Les casse-cou qui s'y risquent ont au minimum un an de pratique en club. « Il faut être très à l'aise en eau vive avant de se lancer, confirme Sébastien Tester. La lecture de l'eau est primordiale, comme celle de la piste en ski.  » Il faut être capable de déchiffrer les zones de calme, de profiter des turbulences pour revenir au coeur de la vague, et pouvoir tenir en apnée pendant de longues secondes lorsque celle-ci finit par éjecter celui qui la chevauche impudemment.

Mais le physique n'est pas tout. Le rodéo se pratique avec un matériel adapté. Les bateaux sont très courts (2,2 mètres en moyenne), et pèsent généralement moins de 15 kilogrammes. « La grosse révolution, ça a été la coque plate, avec les carres qui permettent de prendre de la vitesse, détaille Sébastien Tester. Il faut aussi des pointes très fines à l'avant et à l'arrière, pour couper l'eau dans les figures verticales. » Dernière caractéristique notable, le gros volume autour de l'hiloire - encore appelé « trou d'homme », où le kayakiste s'assied - qui permet de stabiliser l'embarcation.

Les épreuves sont assez similaires à celles du surf, organisées en séries au cours desquelles s'affrontent quatre ou cinq concurrents.Chacun dispose de trente secondes pour réaliser le maximum de figures.Les meilleurs sont capables d'en placer une quinzaine en une demi-minute, forcément très intense. Le lexique est, comme en surf ou en skateboard, imagé et à consonance anglo-saxonne : wiper (essuie-glace), grab (une seule main), wave wheel (roue sur l'eau), rudder (gouvernail), loop (soleil), flat spin (rotation à plat), etc. A ce petit jeu, les Français ne sont pas les plus mauvais. Nicolas Chassing a ainsi décroché une médaille de bronze aux derniers pré-championnats du monde, début juillet sur le site de Noguera Palaressa, près de Sort en Espagne.

Mais l'esprit de compétition est parfois éclipsé par une quête plus intime de « la » vague. Certains parcourent le monde à la recherche du spot de rêve qui procurera le plus de sensations, comme les surfeurs du Endless Summer (l'été éternel). Ce film de l'Américain Bruce Brown (1966) a fait rêver des générations de glisseurs, et n'est pas pour rien dans la vogue du free riding, qui touche aussi skieurs, vététistes et surfeurs des neiges, en quête de pentes inviolées. Le syndrome n'a pas épargné les kayakistes. Nicolas Chassing s'est ainsi installé sur le Zambèze, où il affronte des vagues de 5 à6 mètres de haut, tandis que son camarade, Olivier Feuillette, a choisi d'explorer les cours d'eau d'Afrique du Sud.

En France, les quelque deux cents pratiquants du free style ont eux aussi leurs coins secrets, tant il est vrai que la pratique du rodéo n'est encore que tolérée, même à Joinville, où siège pourtant la Fédération française de canoë-kayak. Passé l'époque héroïque de la pratique sauvage - y compris en hiver à la lueur de phares de voitures - Sébastien Tester espère bien sortir le free style de l'anonymat, notamment pour des raisons de sécurité. Il faut en effet faire preuve d'un minimum de prudence et d'expérience pour déjouer siphons et « rappels » - ces pièges liquides qui transforment la rivière en une machine à laver dont il est difficile de s'extraire.

Les candidats au rodéo ont donc tout intérêt à pratiquer à plusieurs, si possible en club, afin de bénéficier de l'environnement adéquat.D'ici quelques années, le succès aidant, peut-être faudra-t-il instituer des règles de conduite, pour éviter les embouteillages sur des plans d'eau surpeuplés. Mais pour l'heure, les cow-boys aquatiques peuvent encore jouir tranquillement des caprices de leur vague éternelle.

H. M.

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